CONTRIBUTION DE LA SFRN1
POUR LE DÉBAT ET L’ACTION
De nombreux médias glosent sur des sondages qui prétendent montrer que les retraité.es sont majoritairement favorables au recul de l’âge de la retraite. Ce serait une preuve de plus de leur égoïsme, celui des « boomers » qui défendraient bec et ongles leurs « privilèges », et qui laisseraient aux générations suivantes la charge de la soutenabilité du système des retraites.
Dans un document récent2, Terra Nova le dit clairement en invoquant une « préférence française pour les retraités » : « Cela revient à financer à crédit aux retraités actuels un niveau de vie anormalement élevé, tout en organisant sans le dire le décrochage à venir du niveau de vie des cotisants d’aujourd’hui ».
En affirmant que les actifs (et futurs retraités) sont les victimes de ce projet de réforme du fait que le niveau de vie des retraités actuels est « anormalement élevé », Terra Nova cherche un bouc émissaire : il est illégitime que le niveau de vie moyen des retraité.es puisse rattraper celui de la population et donc légitime qu’ils subissent une baisse de leurs pensions !
La fonction du discours catastrophiste (« il faut sauver les retraites ») a toujours été de masquer cet objectif politiquement inavouable : un retour à la paupérisation des retraité.es. C’est tourner le dos à l’objectif historique des régimes de retraite, tirer la population salariée âgée de la pauvreté3 et lui garantir un niveau de vie décent. En 1970, le niveau de vie des retraité.es est encore inférieur de 30 % à celui de la population, et ce n’est qu’à la fin des années 1990 que la parité des niveaux de vie est atteinte.
Mais nous sommes en train de vivre un basculement historique vers une nouvelle paupérisation des retraité·es. Après un pic atteint en 2014, le niveau de vie moyen des retraités se dégrade.
La retraite : un droit ou un « privilège » ?
Terra Nova, par ailleurs, souligne fort justement que le projet de réforme « organise sans le dire le décrochage à venir du niveau de vie des cotisants d’aujourd’hui ». Mais ce n’est pas nouveau : la baisse du niveau relatif des pensions et le décrochage des niveaux de vie entre retraité·es et actif·ves ont été l‘objectif central des réformes passées.
De ce point de vue, le projet de réforme se situe dans la continuité des réformes précédentes. Lorsque le Conseil d’Orientation des Retraites montre que, dans l’état actuel de la législation, le niveau de vie relatif des retraités va revenir en 2070 à son niveau des années 80, soit 20 % en dessous de celui des actif.ves : il s’agit là des conséquences des contre réformes précédentes. Le nouveau projet les aggraverait.
Notre expérience contre leurs discours
« Il faut travailler plus longtemps » », le salut des retraites, c’est l’emploi des seniors » », « r réformer pour plus de justice » ». Comme à chaque « réforme », les vieilles ritournelles reprennent du service.
Nous, retraité·es, avons l’expérience de ces discours et de la réalité qu’ils masquent. Nous avons aussi celle des mobilisations sociales, notamment en 1995, 2003, 2010 et 2019, qui ont montré l’attachement au droit à la retraite dans notre société et ont fait progresser la conscience du risque que ces « réformes » font peser sur la solidarité et la justice sociales.
Aujourd’hui plus des 3/4 des Français·es sont opposés au nouveau recul de l’âge et le retour aux 60 ans ans redevient un espoir crédible ! Opposer la situation des retraité·es actuel·les à celle des actif·ves d’aujourd’hui et retraité·es de demain, n’a aucun sens.
Nous avons subi tout l’attirail de ces « réformes » : l’allongement de la durée de cotisation pour le taux plein, le recul de l’âge, la double peine avec la décote, l’abandon de l’indexation sur les salaires, puis une sous indexation par rapport aux prix… Le Groupe des 9 a montré que les retraité·es ont perdu l’équivalent de 2,5 mois de pension depuis 2014 du fait de la sous indexation par rapport aux prix.
Nous avons fait l’expérience de cette dévalorisation de nos pensions tout au long de notre retraite.
Nous avons vu les pensions dégradées des nouvelles générations de retraité·es.
Nous voyons les réformes creuser les inégalités de pension entre femmes et hommes, et les jeunes générations plongées dans l’incertitude de l’avenir.
Nous savons que la durée d’assurance moyenne pour la retraite validée à 30 ans a fortement diminué entre les générations 1950 et 1976 (de 43,1 trimestres à 31,8 trimestres) et stagne autour de 32 trimestres pour les générations suivantes : la durée exigée pour le taux plein (172 trimestres) est clairement hors de leur portée !
Nous avons été scandalisés par la difficulté croissante des fins de carrière.
Nous voyons l’espérance de vie en bonne santé diminuer et les réformes prendre les meilleures années de la retraite, comme si ce temps de la vie, cet espace d’émancipation devait être réduit par la survie au travail et la paupérisation à la retraite. Nous constatons que la durée de retraite projetée d’une personne qui a liquidé sa pension en 2022 est inférieure d’un an à celle d’une autre, partie en 2010.
Le déclassement social de l’ensemble de la population retraitée
La baisse du pouvoir d’achat des retraité·es actuel·les et futur·es qui s’accélère s’accompagne et se nourrit d’une atteinte à leurs conditions de vie liée aux besoins grandissant avec l’avancée en âge.
Ainsi de l’accès aux soins et de la prise en charge de la perte d’autonomie.
Le renchérissement des soins lié aux transferts vers les complémentaires santé dont les coûts s’envolent, aux restes à charge de plus en plus prégnants et à l’éloignement des lieux de soins, quand ce n’est pas à leur inaccessibilité, compliquent singulièrement la satisfaction des besoins en santé.
L’abandon d’une véritable ambition dans la prise en compte humaine et financière de la perte d’autonomie est un marqueur fort de la considération qu’a le pouvoir pouvoir de la population âgée appelée à croître.
On peut y ajouter le recul de la qualité humaine des services publics dans les territoires en raison de leur privatisation et de leur dématérialisation à marche forcée.
Tous ces sujets, déjà au cœur des actions menées par les retraité·es, notamment dans le cadre du « groupe des 9 », ne peuvent être dissociés des incidences qu’aurait la réforme des retraites engagée par le gouvernement. On peut légitimement parler de déclassement social programmé d’une partie importante de la société vouée à la marginalisation car considérée comme improductive et budgétivore.
La place des retraité·es serait ainsi reléguée aux marges de l’évolution économique et sociale.
La question essentielle du financement
D’abord un choix de société. Les retraité·es, charge, source de profits ou citoyens à part entière ayant tout leur place dans notre société pour vivre dignement leur retraite dans de bonnes conditions, après une vie au travail ? L’appauvrissement des retraités ne peut qu’entraîner un nouveau recul social !
Un financement solidaire : Les besoins de financement du système de retraite, posent la question des recettes sans cesse amoindries par l’austérité salariale, et les concessions faites au patronat.
Le choix de réformer les retraites et de contraindre drastiquement la dépense publique est lié à la promesse du gouvernement de tenir ses engagements vis à vis du pacte de stabilité européen.
Dans le même temps, après la suppression de l’ISF, de la taxe d’habitation, s’ajoute pour 2023 et 2024, la baisse de l’impôt de production soit près de 11 milliards/an de recettes en moins, à peu près ce que l’État espère récupérer sur le dos des retraité·es en faisant sa réforme !
Il faut en finir avec les milliards d’euros d’exonérations et d’allègements de cotisations patronales qui n’ont jamais fait preuve d’efficacité matière d’emploi. Les revenus financiers doivent cotiser au même niveau que les salaires.
Dernièrement, les entreprises du CAC40 ont versé 80 milliards d’euros à leurs actionnaires : pourquoi ne pas faire cotiser ces revenus au même niveau que les salaires ?
Il faut s’appuyer sur un développement de l’emploi stable et qualifié, mieux rémunéré, avec des salaires corrects soumis à cotisations sociales.
L’égalité salariale entre les femmes et les hommes serait source de recettes supplémentaires.
L’histoire a montré qu’on peut assurer des retraites décentes et fondées sur la solidarité entre générations : entre 1960 et 2020, l’augmentation de la part du PIB consacrée aux retraites de 5 à 14% a permis de réduire la pauvreté des retraité·es sans dégrader le niveau de vie des actives et actifs ! Il est donc possible d’augmenter la part du PIB consacrée aux retraites. C’est un choix politique.
Pour la FSU, les ressources de la Sécurité sociale, et donc celles des retraites, doivent être sanctuarisées et ne doivent en aucun cas être consacrées à d’autres dépenses de l’État.
NOTE :
1 SFRN : Section Fédérale des Retraité.es Nationale de la FSU
2« Une autre réforme des retraites est possible« , décembre 2022. ;
3 La réalisation de cet objectif n’exclut pas le maintien des plus petites retraites dans la pauvreté.